mercredi 29 septembre 2010

Cent ans d'éducation au Québec

Ce que je retiens et retire du débat

À Québec hier soir (à la chapelle du Musée de l'Amérique française) a eu lieu un débat ayant pour thème «Cent ans d'éducation au Québec». 

Quatre conférenciers d'horizons divers étaient présents: Éric Bédard, historien et co-fondateur du Collectif pour une éducation de qualité; Robert Bisaillon, ex sous-ministre adjoint à l'éducation préscolaire et à l'enseignement primaire et secondaire, co-président des États généraux sur l'éducation en 1995-1996 et ancien président du Conseil supérieur de l'éducation; Michel Perron, professeur à l'Université du Québec à Chicoutimi, titulaire de la Chaire sur les conditions de vie, la santé et les aspirations des jeunes, aussi contributeur au rapport Ménard sur le décrochage scolaire au Québec; Jean-Pierre Proulx, professeur retraité de l'Université de Montréal et ancien président du Conseil supérieur de l'éducation. En somme, bien de l'expérience pour nous parler d'éducation.

Le débat s'est décliné en trois axes:

1- les événements qui ont marqué l'éducation dans les cent dernières années;

2- les moments qui ont marqué le plus les invités;

3- les grands défis de l'éducation pour l'avenir.

Remarques préliminaires sur le débat

Première remarque: pas une femme sur ce panel. Comment parler de 100 ans d'éducation au Québec sans prendre en compte le point de vue des femmes. Une représentante féminine n'aurait pas été si difficile à trouver me semble-t-il. Des Micheline Dumont,  Andrée Dufour,  Céline Saint-Pierre, Renée Cloutier et autres auraient été tout aussi en mesure que les hommes présents de faire un topo articulé et intéressant sur l'évolution de l'éducation au Québec et des défis qui l'attend dans l'avenir, et avec un regard sensible à l'apport des femmes en plus. Heureusement qu'il y avait Marie-Andrée Chouinard pour faire la synthèse et la conclusion des débats.

Seconde remarque: difficile de ne pas remarquer la forte représentation des universitaires. Ça ne pose pas de problème en soi. Seulement, l'éducation au Québec devrait pouvoir se dire avec des voix plurielles afin d'éviter les points de vue dominants (pour ne pas dire dominateurs). Ainsi, dans le débat d'hier soir, peu de mots, enfin pas assez, sur le rôle des parents en éducation, des syndicats, des associations d'enseignants et d'étudiants, des groupes populaires, comme si l'éducation s'était construite sans eux. C'est un des effets pervers du point de vue dominant. Toutefois, les questions venant de la salle ont permis aux panélistes de se reprendre et de diversifier leur analyse.

Ce que je retiens

Mes attentes n'étaient pas très grandes pour ce débat, mais je suis tout de même agréablement surpris. Ce n'est pas tant l'analyse des participants sur l'évolution de l'éducation au Québec qui était intéressante que l'évocation de leur expérience personnelle de l'éducation. D'apprendre que Robert Bisaillon et Michel Perron proviennent tous les deux d'un milieu ouvrier et comment cela a marqué leur rapport à l'école, j'avoue qu'il y a quelque chose de sympathique là-dedans. 

Sur la première thématique (les moments fort retenus par les panélistes dans les cent ans d'éducation), c'est sans contredit Michel Perron qui a été le plus intéressant. Sa formation de sociologue (je ne prêche absolument pas pour ma paroisse, soyez sans crainte) transpirait dans son analyse. Pour lui, c'est notamment les facteurs démographiques qui sont importants à regarder (en cela, il reprend la thèse de François Ricard dans Génération lyrique), puis la scolarisation massive qui en découle. Il a soulevé également la question du mouvement de démocratisation et les désillusions des années 1980 par rapport à cela, notamment en ce qui a trait aux inégalités d'accès et aux inégalités de réussite qui perdurent toujours. On comprend que pour lui, il y a là un problème majeur.

Robert Bisaillon a soulevé une problématique fort importante pour l'époque, soit les services à offrir aux élèves en difficultés d'apprentissage. Il évoquait comment étaient perçus ces élèves avant les années 1960 alors qu'on les traitait d'«arriérés pédagogiques». Pour lui, c'est le rapport COPEX qui a fait la différence dans ce dossier. Un chose qui l'a frappé dans les années 1960 et 1970, c'est l'arrivée des femmes en éducation. Comme il l'a affirmé dans la soirée : «Aujourd'hui, les femmes sont majoritaires partout». Je suis sûr que plusieurs personnes dans la salle auraient eu le goût de lui dire que ça ne transpirait pas dans la composition du panel.

Éric Bédard a soutenu qu'il y avait peut-être une mauvaise perception concernant les collèges classiques de l'époque qui étaient vus comme élitistes. Selon lui, ces collèges accueillaient également une bonne proportion de jeunes venant d'un milieu social moins favorisé. Je ne suis pas certain de partager son point de vue. La situation dans l'accès aux collèges classiques en 1954 tendrait plutôt à prouver le contraire. À ce moment, les jeunes provenant de familles aisées sont surreprésentés par rapport au pourcentage des jeunes en âge d’être scolarisés issus des mêmes couches socioéconomiques, soit 46% d’inscrits dans les collèges classiques pour 14% des jeunes scolarisables dans l’ensemble de la population. La situation est tout autre pour les jeunes issus de familles moins nanties qui forment 43% des inscrits dans les collèges classiques, alors que le groupe des jeunes scolarisables qui leur correspond dans l’ensemble de la population représente 76% du total. C’est pourquoi le système d’éducation d’avant la réforme est dit élitiste, privilégiant grandement ceux qui étaient déjà favorisés sur le plan des ressources matérielles.

Jean-Pierre Proulx a souligné quelques événements qui ont influencé l'évolution du système éducatif au Québec comme le droit des enfants à l'éducation inscrit dans la Déclaration des droits de l'Homme en 1948, la Charte de la langue française en 1977 et l'abolition de la confessionnalité du système scolaire en 1997. J’avoue cependant que ce sont ses anecdotes concernant son travail de fonctionnaire au ministère de l’Éducation qui ont été les plus intéressantes. Il a de l’humour et il est capable de le transmettre.

Nos panélistes semblaient s’entendre sur le fait que les directions d’école n’ont pas assez de pouvoir et qu’elles devraient pouvoir engager le personnel enseignant. Les conventions collectives seraient un frein à l’efficacité de ces directions (j’aimerais rappeler un principe simple : la rigidité des conventions collectives est toujours à la hauteur de l’arbitraire gestionnaire des directions).

Sur les défis qui attend l'éducation, plusieurs éléments intéressants ont été soulevés par les panélistes. Le décrochage scolaire a été bien sûr un thème porteur. Aurait-il pu en être autrement alors que cette question est en tête des enjeux éducatifs médiatisés depuis la sortie du rapport Ménard et le dévoilement du plan sur la persévérance scolaire, L'école, j'y tiens!. Après des États généraux sur l'éducation, dix ans de réforme scolaire, des politiques gouvernementales et plusieurs plans ministériels, il y a encore un quart des jeunes qui sortent du système scolaire sans diplôme. Certes, bon nombre vont récupérer plus tard par l'entremise de l'éducation des adultes (ce système de la deuxième chance) et iront chercher une première qualification ou un premier diplôme comme le soulignait Robert Bisaillon. Mais est-ce là l'idéal quand on sait que ces élèves auront dû passer par l'échec et l'exclusion avant d'en arriver là.

Jean-Pierre Proulx a plaidé pour une véritable professionnalisation des enseignantes et enseignants. Trois voies à suivre selon lui : 1) faire du corps enseignant les maîtres-d’œuvre du développement des programmes scolaires; 2) rendre effective l’obligation de formation continue pour le personnel enseignant; 3) faire que le personnel enseignant se donne un code d’éthique qu’il pourrait gérer lui-même. Avec ces conditions, il ne croit pas qu’un ordre professionnel soit nécessaire.

Ce que je retire

J'aurais aimé en entendre plus sur l'idéal de l'égalité des chances sur lequel s'est construit le système d'éducation dans les années 1960, sur la réaffirmation de cet idéal dans le premier chantier avancé par la Commission des États généraux sur l'éducation (dont faisait partie Monsieur Bisaillon) et de la situation actuelle de cet idéal dans nos écoles. Ça me laisse grandement sur ma faim. 

Les inégalités sociales et scolaires dans les écoles du Québec sont importantes et grandissantes: fracture importante entre les écoles publiques et privées, soigneusement entretenue par le financement publique des écoles privées; fracture entre les écoles publiques, dont l'ampleur ne cesse de grandir avec le développement des programmes pédagogiques sélectifs réservés à une élite scolaire; fracture entre les élèves provenant de milieu favorisé et ceux provenant de milieu défavorisé, ces derniers décrochant deux fois plus que les premiers. C'est sans compter les inégalités grandissantes découlant d'une intégration massive des élèves en difficultés d'apprentissage ou de comportement dans les classes ordinaires sans les ressources de soutien et professionnelles pour assurer une intégration réussie.

La valorisation de l'éducation publique est un aspect qui a été abordé hier dans le débat. Et c'est important car les écoles publiques sont régulièrement l'assaut de critiques négatives qui sont tout à fait injustifiées. On peut penser au palmarès des écoles secondaires de l'Institut économique de Montréal, qui n'en finit pas de dire n'importe quoi lorsqu'il s'agit de parler de la performance des écoles secondaires; on peut penser aux brûlots d'essayistes qui, régulièrement, viennent polluer l'univers des idées et des débats éducatifs; on peut penser encore à certains médias complaisant qui n'en finissent pas de chercher les broutilles en éducation, insignifiances qui sont pourtant vendeuses auprès d'un certain lectorat. 

Je le pense depuis longtemps, le gouvernement n'en fait pas assez pour valoriser et soutenir l'école publique au Québec. En matière de valorisation, les commissions scolaires et les syndicats en font plus que lui avec leurs campagnes respectives visant à promouvoir l'école publique. Celles et ceux qui travaillent au quotidien dans les écoles publiques peuvent témoigner de la richesse de ces dernières (je sais, je sais, tout n'est pas parfait dans les écoles publiques, mais est-ce que tout est parfait dans les écoles privées, dans les écoles à charte, dans les écoles autonomes?). Il faut donner des moyens à l'école publique afin de favoriser la réussite des élèves. L'avenir du Québec passe entre autres par des jeunes et des moins jeunes qui ont su s'approprier les savoirs, les transformer en compétences, savoirs et compétences qui leur permettront d'être des citoyennes et des citoyens critiques de la société et d'eux-mêmes.

****

Pour conclure, je pense qu'on doit saluer cette initiative du Devoir et de l'Institut du Nouveau Monde. Comme le soulignaient Gagnon et Hamelin  en 1979: «Pour enraciner son sentiment de constituer une société politique et pour éclairer son avenir, une collectivité part à la recherche de ses origines» (L'Homme historien). Le débat d'hier soir y aura contribué à sa façon, avec ses hauts et ses bas.

1 commentaire:

  1. Mon "alert google" m'a fait tomber sur votre blogue que je ne connaissais pas.

    Bravo pour votre compte rendu. Vous avez fait du bon boulot.

    Je partage entièrement votre remarque sur l'absence des femmes à la table-ronde. J'en fus moi aussi surpris.

    Une seconde remarque sur votre remarque: "la rigidité des conventions collectives est toujours à la hauteur de l’arbitraire gestionnaire des directions".

    J'ai toujours pesté contre l'usage du mot "arbitraire" quand il s'agit en réalité de parler de "discrétion".

    J'ai, à quelquse reprises entendu des représentants de la CEQ venus rencontrer mes étudiantes et étudiants pendant la semaine des enseignants, leur dire que le but du syndicalisme était de "contrer l'arbitraire patronale". Comme ils étaint mes invités, je ne rouspétais pas.

    L'arbitraire signifie plus ou moins agir sans raison valable ou sans justification.

    Moi, ancien président de syndicat, j'ai toujours pensé que le but du syndicalisme était 1) de convenir avec le patron d'un régime de travail dans le meilleur intérêt de ses membres; 2) de s'assurer que les accords conclus soient respectés.

    Personnellement, je réprouve l'usage arbitraire du pouvoir, mais je favorise celui d'un pouvoir discrétionnaire puisque il vise à prendre le meilleure décision au meilleur moment, le tout dans les limites des lois et des ententes mutuelllement convenues. Bref, vau mieux de liberté d'action que moins.

    Cela dit, encore une fois, merci pour ce compte rendu,

    Jean-Pierre Proulx

    RépondreEffacer